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Le dol du mandataire engage-t-il la responsabilité du mandant ? La Chambre mixte tranche

Civil - Contrat
04/11/2021
La Chambre mixte pose le principe selon lequel la responsabilité civile du mandant n’est engagée que si la victime prouve que celui-ci a participé personnellement aux manœuvres dolosives commises par le mandataire dans l'exercice de son mandat.
La victime du dol peut intenter une action annulation de la convention pour vices du consentement. Si elle s’abstient de demander la nullité du contrat, elle dispose néanmoins d’une action en responsabilité délictuelle pour obtenir réparation du préjudice qu’elle a subi. Mais à l’encontre de qui ? A l’encontre du mandataire seul ou à l’encontre du mandataire et de son mandant ? La jurisprudence étant hésitante sur cette question, ainsi que la doctrine, la Chambre commerciale renvoie l’affaire devant la Chambre mixte pour y répondre.
 
Les faits étaient les suivants : une holding, détenue à 65 % par une famille (l’époux 45 %, l’épouse 5 %, les trois enfants 5 % chacun), et à 35 % par un fonds d’investissement, est cédée en totalité, l’époux agissant en son nom personnel et comme mandataire des autres membres de la famille. L’acquéreur demande l’annulation partielle du protocole de cession pour dol estimant que le projet de départ du directeur général de la holding annoncé peu de temps avant la cession lui avait été caché, alors que l’une des conditions du rachat était l’existence au sein du groupe d’une direction stable et autonome. Puis, il renonce à demander l’annulation de la cession et limite sa demande à l’indemnisation de son préjudice à raison du dol subi, avec condamnation in solidum de tous les défendeurs en réparation de celui-ci.

Le tribunal de commerce de Paris retient l’existence d’un dol et condamne in solidum le mandataire, son épouse et les enfants à payer à l’acquéreur la somme de 600 000 euros. La cour d’appel de Paris confirme le jugement sur le principe de la condamnation au paiement de dommages-intérêts pour dol mais en réduit le montant à 400 000 euros, l’infirmant sur les condamnations in solidum de l’épouse et des enfants.

Le pourvoi de l’acquéreur est rejeté.

Visant les textes applicables, la Chambre mixte rappelle que la victime du dol a le choix entre :
  • d'une part, la demande d’annulation de la convention pour vices du consentement, sur le fondement des articles 1137 et 1178, alinéa 1er, du Code civil (auparavant de l'article 1116 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) ;
  • et d'autre part, une demande d’indemnisation en réparation du préjudice subi à raison du dol, sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil (auparavant des articles 1382 et 1383 du même code).
Critère posé : la preuve de la faute personnelle du mandant. – Pour l’Avocat général, le dol du mandataire doit être assimilé au dol du mandant, à l’instar de ce qui se juge au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La Chambre mixte en décide autrement : « Si le mandant est, en vertu de l'article 1998 du Code civil, contractuellement responsable des dommages subis du fait de l'inexécution des engagements contractés par son mandataire dans les limites du mandat conféré, les manœuvres dolosives du mandataire, dans l'exercice de son mandat, n'engagent la responsabilité du mandant que s'il a personnellement commis une faute, qu'il incombe à la victime d'établir. »
 
La cour d’appel a retenu l'existence de manœuvres dolosives de la part de l’époux pour ne pas avoir révélé à l'acquéreur les doutes du directeur général de la holding sur le projet de reprise, la perspective de son prochain départ, et au contraire en laissant croire la réelle implication de celui-ci dans ce projet. Mais elle a estimé qu'aucun élément ne permettait d'établir que l'épouse et les enfants du mandataire avaient personnellement participé à ces arrangements dolosifs. Il en résultait qu'aucune faute de leur part n'était démontrée. La Chambre mixte de la Cour de cassation approuve les juges du fond d’en avoir exactement déduit que leur responsabilité civile ne pouvait être engagée du seul fait d'avoir donné mandat à leur époux et père de céder leurs actions.
 
Pour une synthèse de l’évolution jurisprudentielle et de la position de la doctrine, voir le rapport de M. le Conseiller Mornet et l’avis de l’Avocat général Mme Guéguen.
 
Pour aller plus loin, voir Le Lamy Droit du contrat, n° 648 et Le Lamy Droit de la responsabilité, n° 230-57.
Source : Actualités du droit