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Infections nosocomiales : une société professionnelle peut-elle être qualifiée d’établissement de santé ?

Public - Santé
Affaires - Assurance
Civil - Responsabilité
19/11/2021
La responsabilité de plein droit des établissements de santé s'étend aux infections nosocomiales survenues au sein des sociétés de radiologie qui sont considérées comme leur service de radiologie, ce qui est notamment le cas des sociétés professionnelles qui permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l'exercice en commun de ces professions.
Le présent arrêt enrichit le fond des solutions jurisprudentielles qui traitent des cas complexes de détermination de la responsabilité pour des dommages résultant des infections nosocomiales. En effet, l’alinéa 2 de l’article 1142-1 du Code de la santé publique dispose que « les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ». Si le principe et l’exception sont clairs, la pratique, la diversité des structures et leurs combinaisons dans le cadre de la réalisation des actes de prévention et de soins sont susceptibles de rendre opaque leur mise en application.

Faits et solution

En l’espèce, une personne est victime d’une infection nosocomiale à la suite d’un arthroscanner d'une épaule. L’imagerie a été réalisé par un médecin radiologue dans les locaux de la société « Imagerie nouvelle » (société à responsabilité limitée) constituée par des médecins radiologues « pour exercer leur profession et a pour activité l'exploitation, l'achat, la vente et la location de matériel d'imagerie médicale et de radiothérapie » et située à la même adresse que la clinique.

La victime assigne en responsabilité et indemnisation le praticien et ladite société ainsi que la clinique. L’assureur de cette dernière intervient volontairement à l’instance.

En première instance, le tribunal condamne la clinique et son assureur in solidum à réparer le préjudice corporel de la victime ; décision confirmée en appel (CA Bastia, 22 févr. 2017, n° 15/00360) au motif que le contrat conclu entre la clinique et la société d’imagerie impose un mode de fonctionnement à cette dernière en la mettant à la disposition de la clinique « pour assurer tous [ses] besoins en matière de scanners (…). Plus que le voisinage, ou les entrées communes, c’est le protocole qui caractérise le lien de la SELARL à l’égard de la clinique, qui en a fait « son » service de scanner médical ». La cour d’appel confirme la mise hors de cause du médecin radiologue.

Cet arrêt est cassé (sauf en ce qu'il rejette les demandes de la victime) au visa de l’article 16 du Code de procédure civile pour la violation du principe contradictoire.

La cour d’appel de renvoi adopte un raisonnement différent. Elle condamne la société en retenant que son extrait K-bis vise « au titre de l'activité exercée, celle d'exploitation de matériel d'imagerie médicale et de radiothérapie » et qu’ainsi, elle « exerce une activité, sinon de soins, à tout le moins de diagnostic, relevant des dispositions de l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique et qu'elle se trouve soumise à une responsabilité de plein droit et constitue une société d'exercice professionnel effectif ». Qui plus est, l’entreprise « exerce son activité dans une indépendance certaine vis-à-vis de la clinique et dans des locaux propres loués à une personne tierce, (…) dispose de ses propres circuits d'approvisionnement des dispositifs médicaux stériles, personnel de nettoyage, protocoles d'asepsie et matériel de radiologie, [et] que, si le scanner est mis à disposition de tous les praticiens intervenant au sein de la clinique selon un protocole fixant des règles destinées à faciliter le fonctionnement de la coopération entre la société et la clinique, les praticiens peuvent adresser leurs patients à d'autres établissements, en l'absence d'exclusivité au profit de la société, de sorte qu'elle ne constitue pas le centre de radiologie de la clinique ».

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l’article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique. Selon les dispositions de cet article, les organismes visés se distinguent « des sociétés professionnelles qui permettent la fourniture de certains moyens aux professions médicales ou l'exercice en commun de ces professions » parmi lesquelles se trouvent notamment les sociétés à responsabilité limitée « constituées par des médecins radiologues pour exercer leur profession et a pour activité l'exploitation, l'achat, la vente et la location de matériel d'imagerie médicale et de radiothérapie, à l’instar de l’activité exercée par la société « Imagerie nouvelle », et ne peuvent donc pas « être soumis à un responsabilité de plein droit au titre des dommages résultant d'infections nosocomiales ».  Elle affirme que la « responsabilité de plein droit des établissements de santé s'étend aux infections nosocomiales survenues au sein des sociétés de radiologie qui sont considérées comme leur service de radiologie ».

Éléments d’analyse

Qui est responsable en cas d’infection nosocomiale lorsqu’une victime a conclu un contrat d’hospitalisation avec un établissement de santé privé mais que l’intervention a été pratiquée par un médecin libéral au sein d’un autre établissement de santé public et cela dans un cadre de coopération sanitaire entre les deux établissements ? Dans ce cas, seul l’établissement dans lequel les soins ont été réalisés peut être responsable de plein droit des dommages résultant d’une infection nosocomiale en application de l’article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique (Cass. 1re civ. 3 mai 2018, n° 17-13.561).

Dans une autre affaire (Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-17.072) très semblable, à la suite de réalisation d’arthroscanner par un médecin radiologue, une infection nosocomiale se déclare chez la victime. Ledit médecin radiologue faisait partie d'une société civile de moyens, elle-même adossée à une clinique se présentant sous la forme juridique d’une société anonyme. Les juges de cassation ont décidé, en se référant aux termes de la convention passée entre la clique et la société, que « SCM Clinique radiologique du Parc assurait tous les besoins de la SA Clinique du Parc en matière de radiologie courante et bénéficiait de l'exclusivité de l'installation et de l'usage de tout appareil radiologique dans la clinique, de sorte que la SCM pouvait être considérée comme le service de radiologie de l'établissement de santé, lequel était soumis aux dispositions de l'article susvisé pour les infections nosocomiales ».

Le présent arrêt réitère la logique de cette solution, l’applique au cas d’une SARL et clarifie le principe ainsi exposé. De cette façon, la cour évite une solution, choquante, dans laquelle personne n’est responsable et la victime privée d’indemnisation. Qui plus est, déclarer la société responsable et par là l’ensemble des médecins associés qui n’ont aucun rapport avec l’acte pratiqué (et que le médecin pratiquant l’imagerie a été lui-même mis hors de cause) paraît inéquitable et « en totale contrariété avec le vœu du législateur de 2002 qui a été de libérer les médecins de la responsabilité de plein droit que la jurisprudence avait fait peser sur eux en matière d'infection nosocomiale » (Jourdain P., Qu'est-ce qu'un « établissement de santé » au sens de l'article L. 1142-1, I, du Code de la santé publique ? RTD civ. 2012. 733). En pratique, cette solution conduira à ce que, dans des cas semblables, la clinique, qui s’associe avec une société professionnelle, soit systématiquement reconnue responsable pour des dommages résultant des infections nosocomiales contractées à l’occasion des actes médicaux prodigués par desdites sociétés.

Une solution qui pourrait intéresser les assureurs.
Source : Actualités du droit