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La Cour de cassation ouvre la pratique de l'épilation à la lumière pulsée aux non-médecins

Civil - Responsabilité
Public - Santé
11/05/2020
Par un arrêt du 31 mars, destiné à une large diffusion, la Cour de cassation renverse sa jurisprudence antérieure en décidant d’ouvrir la pratique de l'épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens, rejoignant ainsi la position du Conseil d’État en la matière.
Voici un arrêt qui risque de hérisser le poil des médecins.

En l’espèce, deux instituts esthétiques sont reconnus coupables de complicité d'exercice illégal de la médecine. En cause, la pratique par ces derniers d’épilation à la lumière pulsée. Pour rappel, à la différence de l’épilation laser, l’épilation à la lumière pulsée utilise un spectre d’ondes plus large, ce qui distingue les deux pratiques.

Les deux instituts forment des pourvois, joints en raison de leur connexité, contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant confirmé le jugement du tribunal correctionnel. Le fondement est toujours le même : l’article 2, 5° de l’arrêté du 6 janvier 1962 selon lequel « tout mode d'épilation, sauf les épilations à la pince ou à la cire » ne peut être pratiqué que par les docteurs en médecine.

Les moyens avancés par les demandeurs sont solides. Les deux visent la violation des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), 49 du Traité instituant la Communauté européenne (TCE) et 591 et 593 du Code de procédure pénale.

Pour le premier institut esthétique, société Depli Tech, « le principe de libre concurrence et de liberté d'établissement s'impose en application des traités sur l'Union européenne ; que les restrictions à ce principe ne peuvent être justifiées que si elles sont proportionnées au but de protection de la santé publique et qu'il appartient aux juridictions nationales de procéder à une réévaluation des risques pour la santé publique au regard des dernières données techniques ou scientifiques ».

Pour la seconde, société Alésia Minceur, « le juge répressif, saisi de poursuites du chef d'exercice illégal de la médecine, doit apprécier au moment où il statue la nécessité et la proportionnalité de l'interdiction aux non-médecins d'accomplir l'acte concerné sur la base d'une réévaluation des risques pour la santé publique au regard des données techniques et scientifiques actuelles et doit déterminer, au regard des prescriptions des traités de l'Union relatives à la libre concurrence, la liberté d'établissement et la libre prestation de services, si cette interdiction demeure un fondement valable aux poursuites pénales ». Et elle poursuit en invoquant notamment les « rapports et avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) d'octobre et décembre 2016 appelant à la révision d'une réglementation incohérente et à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 20 décembre 2018 (RG n° 16/23275) excluant l'illicéité du contrat de franchise ayant pour objet l'activité d'épilation à lumière pulsée par des esthéticiens ».

Les Hauts magistrats censurent l’arrêt d’appel au visa des articles 49 et 56 TFUE et donnent ainsi raison aux demandeurs.

La Cour observe que selon les principes de la liberté d'établissement et de la libre prestation de services tels qu'interprétés par la Cour de Justice de l'Union européenne (CJCE, 19 mai 2009, aff. C-171/07), « ne peuvent faire l'objet de restrictions justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, que si ces mesures s'appliquent de manière non discriminatoire, sont propres à garantir de façon cohérente, la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ». Et bien que la référence des juges du fond à l’article 2, 5° de l'arrêté du 6 janvier 1962 est exacte (Cass. crim., 29 janv. 2019, n° 16-85.746) cette interdiction ne peut plus être justifiée au regard des principes ci-dessus énoncés et compte tenu d’un récent arrêt du Conseil d’État (CE, 8 nov. 2019, n° 424954).

Allant plus loin encore, la Cour affirme que « ladite interdiction n'est pas justifiée dès lors que les appareils utilisés peuvent être acquis et utilisés par de simples particuliers » et que « si l'épilation à la lumière pulsée est susceptible d'avoir des effets indésirables légers, selon le rapport et l'avis de l'Agence nationale de la santé sanitaire (ANSES) d'octobre et décembre 2016, et d'être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, il n'en résulte pas que ces actes d'épilation ne puissent être effectués que par un médecin ».

Cet arrêt - qui doit par ailleurs être salué pour sa clarté - constitue le dénouement d’une bataille menée notamment par les esthéticiens qui revendiquent depuis des années le droit de faire usage de lasers, de lampes flash et d’appareils à lumière pulsée pour pratiquer l’épilation, contrairement au monopole des médecins établi par l’arrêté précité du 6 janvier 1962.

Sur le fond, le cœur de l’arrêt semble s’attacher à l’évolution technologique, à l’absence de dangerosité de cette pratique ainsi qu’aux principes supérieurs du droit européen – la liberté d'établissement et la libre prestation de services. On peut regretter toutefois qu’il a fallu attendre le rapport d’ANSES et la décision du Conseil d’État, sans compter de nombreuses décisions condamnant les esthéticiens pour exercice illégal de la médecine, pour que l’interdiction soit enfin levée.

Il est à noter enfin que la Cour enjoint par sa décision au gouvernement d’élaborer un « décret ouvrant la pratique de l'épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens sous certaines conditions de formation », qui n’est pas encore sorti.
Source : Actualités du droit